Mercredi 24 février; au prieuré. Sur une phrase de Christian Jacob : DSK et la nature.

Publié le par Paul-Marie Coûteaux

Il y a autour de Mirebeau plusieurs petits bois : à l'est, celui de Seuilly, où nous sommes allés nous promener ma mère et moi, hier, après le déjeuner; au sud, celui de Luché, où nous allons le plus souvent, puisqu'il est le plus proche; à l'ouest, rien : la plaine des Deux-Sèvres, nue comme la main -du moins dans les parages de Mirebeau. Mais j'ai aperçu l'autre jour, sur une carte, une petite tache verte au nord-ouest, juste au dessus de Chouppes; nous y sommes allés aujourd'hui pour la promenade devenue rituelle d'après déjeuner. Le bois est triste en ce mois-ci, où la campagne est moins parée de verdure qu'en toute autre, mais il est plus profond que je ne le croyais. Nous avons aperçu de profondes allées, où j'ai bien l'intention de revenir marcher -comme j'ai l'intention, d'ailleurs, de faire tous les jours une promenade, y compris en cette mauvaise saison où je reste beaucoup trop cloîtré en attendant les beaux jours et les virées du soir à bicyclette.

 

A propos de nature, j'ai songé que Dominique Strauss-Kahn, dont toute la presse nous rebat les oreilles depuis dimanche (jour où il vint à Paris pour le G 20, après quoi son portrait fut à la une de tous les journaux), n'avait derrière lui aucun paysage, ni même aucun lieu. C'est assez curieux quand on concourt à la présidence de la République, ce qui est plus évident à mesure qu'il le nie, mettant en avant une mission de régulation du système financier international qui a toutes les allures d'une argumentation électorale; et Christian Jacob, président du groupe UMP à l'assemblée nationale, a visé juste en accusant le personnage de "…… ".

 

Le plus souvent, on a cité la phrase de Jacob pour s'en moquer, alors qu'elle est au contraire pleine de sens. Mmes Aubry ou Royal ont des lieux, Lille pour l'une, les Deux-Sèvres et le Poitou pour l'autre -comme, pour rester parmi les dames, il y aura toujours derrière Marine le Pen la Bretagne, le port de la Trinité et le golfe du Morbihan. François Mitterrand avait des lieux, et combien : Latche, dans les profondes Landes, pour ses vacances d'été et, je crois bien, celles de Noël -il y recevait même quelques grands de ce monde, par exemple M. Kohl ; il y avait la célèbre “roche de Solutré”, présentée comme le tabernacle des plus anciens mystères français, dont l'ascension à la Pentecôte faisait une manière de pèlerinage; il y avait la rue de Bièvres aux confins du quartier latin, et aussi les Charentes dont il était tout entier pétri, jusqu'à goûter Chardonne, où il fit retourner son corps lorsqu'il l'abandonna par un petit matin d'hiver parisien; et puis il y avait le fameux village de l'affiche illustrant "la force tranquille", lors de la présidentielle victorieuse de 1981, village devant lequel on imagine mal que pose jamais un DSK tout sourire…

 

Ne parlons pas du Général de Gaulle, fils de Lille, dont il portait sur le visage la rigueur nordique, rehaussée par son mariage avec une Vendroux, grande famille de Calais; comme on imagine Colombey, les terres de Haute-Marne et la forêt des Dhuy, symbole des vieilles terres gauloises -et pour combien compta dans son image le simple fait de porter un nom qui était à lui tout seul une histoire et une géographie ancestrales... De même, derrière Pompidou, il y avait le Cantal et Montboudif -et, non loin de là, Clermont-Ferrand, où il fut professeur, ainsi que Cajarc, aux confins du Quercy et du Rouergue -et encore Orvilliers, maison modeste mais rituelle qui abritait ses fins de semaine. Derrière Giscard, on aperçoit l'Auvergne et ses cratères, ce qui fait tout un tableau -on apprécia même qu'en 1974 il annonçât sa candidature présidentielle depuis Chamalières, "petite commune d'Auvergne". Et encore, derrière Chirac, il y a bien entendu la Corrèze, Saran et le château de Bity, un peu plus loin le plateau de Millevaches, et les vaches elles-mêmes, fûssent seulement celles du salon de l'Agriculture. Derrière Nicolas Sarkozy, dont la ruralité, pour parler comme M. Jacob, apparaît certes un peu plus ténue, il y a tout de même, outre Neuilly, dont il fut maire fort jeune, qui n'est pas toute la France mais qui est une France, l'image de vacances au Pyla, près des jetées d'Arcachon, comme il y a, par sa femme je crois, une belle maison du Var -sans oublier le plateau des Glières, haut lieu de la Résistance qu'il tente de ritualiser, certes avec plus de mérite que de succès. Bref, la règle fut toujours respectée, et se vérifie au delà de la Vè République : derrière Auriol, on voyait, on entendait Muret et Toulouse, par le seul fait d'un accent qui avait l’air de retourner la terre ; derrière Blum, il y avait Strasbourg, qu’il marqua si profondément que c’est Blum et son grand chapeau que je croyais apercevoir parfois, du temps que je me promenais dans la capitale alsacienne –outre la maison cossue de Jouy-en-Josas, où il vécut des décennies et mourut. Derrière Herriot, il y eut toujours Lyon, etc…

Pour M. Strauss-Kahn, rien, absolument rien, au point qu'il donne l'air de vivre aux Etats-Unis comme s'il était chez lui -bien devant qu'à Sarcelles, dont il fut certes l'élu, mais où nul n'imagina jamais qu'il pût habiter un seul jour. Faille d'autant plus grave pour son personnage que l'on se demande de plus en plus pourquoi la grande presse nationale et internationale relate ses moindres gestes ou paroles, alors que sa carrière ministérielle fut assez courte -il fut ministre de Lionel Jospin, mais, des anciens ministres de gauche, il y a aujourd'hui pléthore- et n'est plus élu en France depuis longtemps… Oui, décidément, M. Jacob a bien visé, et je gage que M. DSK se souciera bientôt de se fabriquer un lieu pour "atterrir" comme on dit dans la paysage français -mais fabriquer est bien le mot, et l'on peut craindre pour lui qu'il ne soit déjà trop tard et que l'on n'imaginera jamais rien d'autre derrière lui que des aéroports ou des avions, cet univers hors sol qui passait jadis pour moderne, mais qui est passé de mode, pour ne pas dire qu'il est devenu odieux aux yeux de nombre de Français.

Publié dans Extraits du journal

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