Mardi 8 février deux mil onze; Rabat. Internet et "le champ des possibles".

Publié le par Paul-Marie Coûteaux

Toute la nuit, ai avalé sur internet les informations de l'univers entier, en vrac. J'avais envie de monde, engloutissant en désordre les sites des grands médias, les vidéos amateurs sur la révolution, ou le coup d'Etat militaire en Egypte; et, sur youtube les vidéos qui "buzzent" : une vue stupéfiante des joueurs de l'équipe de France de handbole, ou de basquetebole, au moment de la Marseillaise : tous les indigènes chantent, plus ou moins (l'un d'eux haut et clair), mais aucun des quatre joueurs manifestement venus de l'au-delà des mers ne se croit obligé de bouger les lèvres, deux prenant l'air carrément courroucé que l'on ose ainsi jouer en leur présence l'hymne national… Une autre vidéo me bouleverse, sur la précocité sexuelle des adolescents, et  quelquefois des enfants, collés tous les soirs sur internet;  et tutti quanti…  Impossible de fermer mon ordinateur, d'éteindre la lampe, de dormir : dès que l'on s'aventure dans le brouhaha du monde, on veut en savoir toujours plus, l'illimité règne dangereusement dans le cerveau…

L'illimité est le problème du jour, je crois. Me fait penser à cette maxime de Pindare, que j'ai su naguère dire en grec : "ô mon âme, n'aspire pas à la vie éternelle, mais épuise le champ des possibles"; or, "épuiser le champ des possibles" est une entreprise hors d'atteinte désormais, tandis que les infinités de possibles épuisent les âmes. Il faut renverser Pindare : l'aspiration à la vie éternelle, aujourd'hui, est devenue le plus sage rempart aux délires de l'esprit, de la puissance, ou de l'imagination.

 

By the way, nouvelles rencontres : la belle figure de Rouchdi Chamcham, psychanalyste à Casablanca (psychanalyse et Islam : vaste sujet); il voulait me voir après avoir lu mon papier du Figaro de juin dernier en défense de Freud, si salement attaqué par l'ignoble Onfray (dont j'apprends au passage qu'il s'est fort mal comporté  ici), et j'avais lu l'un de ses livres, où il définissait la psychanalyse comme "le moyen de ne plus avoir d'ennemis". Il accepte de donner un entretien aux Cahiers, nous promettons de nous revoir -il faut décidemment que je revienne ici souvent…

L'autre soir, sommes allés, F. et moi dîner chez les Aoufir, autre type de Marocains flamboyants, toujours aussi accueillants et chaleureux -à l'image d'ailleurs de leur somptueuse villa et d'un personnel qui, sous un autre angle, m'a paru non moins somptueux. Autre soirée charmante, je ne sais déjà plus quand, avec un couple de Français extraordinairement sympathique et passablement vieille France (elle est à l'ambassade, lui dans la banque), qui m'a rassuré sur la pérennité d'une aristocratie française -ils ont quatre enfants, qui paraissent fort bien élevés; et quoi de plus réconfortant que des enfants bien élevés, je veux dire élevés en Français ?

Publié dans Extraits du journal

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