Semaine 27 (du 4 au 10 juillet)

Publié le par Paul-Marie Coûteaux

Lundi 4 juillet deux mil onze; Mirebeau. - Du coup, folie Mozart. Je le retrouve, après l'avoir tant délaissé (sans doute pour popularité excessive, c'est-à-dire par snobisme), comme on retrouve un être avec qui l'on a pris ses distances et dont, le temps ayant passé,  tout le charme revient à l'esprit et au cœur, c'est à dire plus violemment qu'on ne l'éprouvait auparavant. Notamment Les Noces, Don Juan et les concertos pour piano -qui vont si bien à l'été.

Je m'avise que le début de ce paragraphe ("du coup", etc.), est incompréhensible pour qui ne lit pas ce journal en continu mais par blocs hebdomadaires, sous la forme bloguienne du for intérieur mis en ligne sur internet. Je ne vois pas comment on peut ainsi comprendre les liaisons -un des problèmes de ce journal, non point le seul.

Un autre, grave, est que les italiques ne sont pas retranscrits sur internet (ou bien cela suppose-t-il une manipulation spéciale ?), de sorte que le lecteur passe à côté des décrochements de lecture, lesquels sont pour moi indispensables à la bonne compréhension de certaines phrases. Je ne vois plus, du coup, comment on peut lire convenablement ce blog; et je rougis toujours, quand on me dit qu'on le lit. Il est si imparfait qu'il me fait honte -mais tant de choses que je fais, (action politique, livres, etc.), sont si imparfaites qu'il m'arrive souvent d'en avoir honte. J'expédie toutes choses (y compris j'y songe, la cuisine, qui ne me plait que si je peux confectioner mes plats sans traîner); j'expédie beaucoup trop.

D'ailleurs, il y a encore plus grave : les fautes -de construction, de grammaire, et d'orthographe. Que de fautes dans ce pauvre journal! Chaque fois que je jette un œil à ce qui est mis en ligne, donc sans possibilité de rattrapage, je suis bouleversé pour des heures -au point que je me décide souvent à l'interrompre, pour attendre une publication sous forme de papier, laquelle est de toute façon hypothétique. C'est vraiment une vieille infirmité de ne pas savoir relire, du moins de n'avoir pas le courage de jeter un peu plus qu'un œil sur ce que j'expédie, mais, sur ce sujet, je ne vois pas comment sortir du sempiternel dilemme : depuis toujours, je ne peux relire sans corriger, ajouter, compléter, et souvent même reformuler du tout au tout, en sorte qu'il me faut ensuite relire de nouveau et que l'exercice d'écriture rapide du journal perd toute son alacrité. Si ce n'est pas jeté, ce n'est plus drôle. Je veux d'autant moins relire qu'il arrive toujours que, en deuxième lecture, je corrige encore, d'autant que je suis alors dans le sujet, que d'autres idées me viennent qui, d'incises en incises, alourdissent ou déséquilibrent mes phrases, si encore je n'en insère pas de nouvelles.

Passons donc (si mes lecteurs veulent bien passer) sur les scories : je sais bien que je ne peux écrire ce journal qu'à la va-vite, à la diable, comme on dit si bien, ou bien les idées se diluent, et l'envie que j'ai de les jeter sur le papier s'évapore. Il me faudrait certes des correcteurs, mais sans doute n'oseraient-ils pas corriger les phrases trop bancales, ou ne comprendraient pas ce que j'écris, là où justement il y a trop de fautes pour que la lecture soit limpide. Tout cela fait que, tout en me mordant les doigts, je me condamne à lancer au vent des compositions plus qu'incertaines, comme on dit de ces compositions de bouquets qui ne sont point très composées justement, fleurs qui sont fourrées là dans un vase et qui s'assemblent comme elles peuvent, alors qu'il faudrait tailler, assembler, aérer… Ce que je fais pour les livres, je ne me persuade pas, comme il le faudrait sans nul doute, qu'il faille le faire pour un journal, qui n'est dans m'on esprit qu'un prélude à des livres. Qu'on veuille bien lire ce bloc-notes comme de la matière brute, un atelier où s'ébauchent des toiles bien avant que l'on ne songe à leur livraison -internet ne me semblant pas tout à fait, justement, une livraison, mais une manière de mettre quelque part les idées qui passent, pour après. (Oui, mais quel après ? ).

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Mercredi 6 juillet deux mil onze; Mirebeau. - Il y a quelques jours, rebondissement dans l'affaire DSK, qu'on aperçoit presque lavé de toute accusation par la découverte du louche passé de son accusatrice, sur laquelle pourtant tout repose -ou plus exactement reposait. Cette dame aurait menti à plusieurs reprises, elle aurait même téléphoné à l'un de ses amis (ami qui, pour tout arranger, est un repris de justice), pour lui dire le parti que l'on pourrait tirer d'une accusation de viol portée à l'encontre d'un tel personnage; vrai ou faux, l'idyllique portrait de la dame en prend un coup, et le viol aussi -celui-ci et peut-être quelques autres, en sorte que je me demande comment la Justice états-unienne, obsédée par les histoires de sexe, et qui se voit (elle l'est peut-être) comme le dernier rempart contre l'invasion libidinale, va pouvoir se déjuger.

En attendant, ce rebondissement met sévèrement en accusation le système judiciaire américain, et plus largement l'abolition, presque universelle désormais, de la présomption d'innocence -outre, par dessus tout, le secret de l'instruction. On aurait pu instruire un peu plus, et pour commencer laisser libre M. Strauss-Kahn, avant de faire tout ce raffut… Combien plus humain le système français du Juge d'instruction, doublé du Commissaire, surtout si l'un et l'autre instruisent avec l'intelligence d'un Maigret. Comme, de ce modèle idéal, nous sommes loin ! La Justice, désormais accouplée avec son diable, le journaliste, n'est plus qu'un terreau d'injustices.

Le rebondissement accuse aussi sévèrement la manière contemporaine de penser et de comprendre le monde, laquelle repose beaucoup sur des préjugés, c'est à dire des stéréotypes moraux. Blanc, DSK ne pouvait qu'avoir tort face à une Africaine. Riche, il ne pouvait qu'avoir tort face à une femme de chambre. Juif, il ne pouvait qu'avoir tort face à une musulmane, décrite comme dévote. Mâle, il ne pouvait qu'avoir tort face à une femme -en aura-t-on entendu de féministes se plaignant que l'on puisse mettre en doute le témoignage d'une femme, comme si nulle femme ne pouvait être capable de manipulations et de mensonges... Le drame du mâle blanc, juif et riche face à une femme de chambre africaine et musulmane est une affreuse mise en scène, que les Etats-Uniens ont jugée depuis longtemps. C'est là un drame contemporain grave : à force de ne plus voir la réalité qu'à travers des stéréotypes, l'informé moyen n'a plus conscience de la réalité et de ses méandres… 

Surtout, ce retournement accrédite la thèse de la machination que je développais ici quelques jours après le début de l'affaire. Elle ressurgit d'ailleurs sous la forme la plus triviale, l'accusation portée par quelques pailles socialistes contre le groupe Accor (groupe auquel appartenait l'hôtel où se sont déroulés les faits), dont les  propriétaires sont supposés être de connivence avec l'Elysée. Il n'est guère étonnant que les gnomes qui résument la politique du monde aux querelles de partis et aux courses électorales n'aperçoivent que ce type d'interprétations politiciennes alors que, s'il y a machination, elle est de bien plus haute volée. Pour ceux qui savent ce qu'est la politique, c'est-à-dire une guerre permanente et multiforme entre les Etats, l'hypothèse envisagée est infiniment plus large.

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Jeudi  7 juillet deux mil onze; Mirebeau. - Sur presque le même sujet, relevons le parcours fort atypique de Mme Lagarde, qui a succédé à M. Strauss-Kahn à la tête du FMI, il y  a quelques jours. Sortant d'un lycée dit Holton Arms School (Arms school ?) dans le Maryland, elle fut, au Capitole, assistante parlementaire d’un représentant républicain du Maine, lequel est étrangement devenu secrétaire à la Défense du démocrate Bill Clinton. De retour en France, Madame Lagarde rejoint le bureau parisien du cabinet d’avocats nou-yorkais Baker & McKenzie, un des premiers cabinets mondiaux (4 400 collaborateurs dans 35 pays) et devient bientôt présidente de son comité exécutif mondial à Chicago, faisant grimper son chiffre d’affaires de 50% en quelques années. Elle appartient aussi au Sinquetanque dénommé Center for Strategic and International Studies (CSIS), qu'elle coprésida avec Zbigniew Brzezinsky, ancien conseiller de Jimmy Carter, puis militant de l’expansion de l’OTAN aux États européens de l'Est; elle fut récemment classée douzième femme la plus puissante au monde par le magazine Forbes et cinquième femme d’affaires européenne par le Wall Street Journal Europe -tout cela avant d'être nommée ministre de l'Agriculture au sein du gouvernement français, puis ministre des Finances…

 

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Vendredi 8 juillet deux mil onze; Mirebeau, enfin seul. Surtout, ne pas concentrer toute l'activité de mon esprit sur la république (je veux dire, comme toujours, sur la chose publique, autrement dit la politique, autrement dit les questions de souveraineté etc.), ou bien je deviendrais complètement malade - frappé de stupeur, ou de furie, littéralement interdit, je ne sais comment dire, et dans tous les cas inefficace, impropre à toute action. Apprendre à détourner le regard, trouver de l'air, respirer calmement…

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Samedi 9 juillet deux mil onze; Mirebeau, silence; j'appréhende de partir demain pour Paris et de plonger dans le bruit. De Gaulle écrivit un jour que la solitude avait d'abord été une tentation, puis une amie; je fais le chemin inverse : la solitude fut toujours pour moi (depuis je crois mon plus jeune âge d'enfant unique élevé chez ses grands-parents), une amie, avant de devenir peu à peu une tentation, permanente et maladive. C'est au point que quiconque entre dans ma maison me met en ébullition, je change du tout au tout, la sérénité s'envole, je dois faire de constants efforts pour ne pas être odieux. Idem, bien entendu pour le téléphone, cantonné aux soirs -au point qu'il en dévore, hélas, une partie. La solitude et le silence sont devenus de véritables drogues, que je devrais supprimer de mes délices avec plus de résolution. Ou supprimer décidément tous les délices ? Ce bonheur profond, quand je remets la barre du portail et me dit en mon petit peto : "enfin seul…"

Lecture quiète de Noam Chomsky, "Médias et propagande"; le vieux linguiste, dont je ne sais quel sondage réalisé aux Etats-Unis faisait récemment le plus prestigieux intellectuel américain, est implacable dans son analyse du Système, qu'il décrit comme un totalitarisme parfait. Il montre brutalement comment tout de ce monde concourt à déformer les esprits, à les égarer au point qu'ils prennent littéralement  les vessies pour des lanternes. Et je ne vois que trop autour de moi comment s'égare en effet l'analyse géo-politique classique : tout à l'heure, un quidam m'expliquait que les nations n'existaient plus, prenant pour illustration le fait que la BundesBank soit désormais dirigée par un Suisse d'origine pakistanaise, qui de surcroît ne parle allemand; oui, mais le gouvernement est allemand, et s'il décide de quitter l'euro et de rétablir le mark, comme je crois bien que l'Allemagne y aura intérêt et le fera tôt ou tard, le fait que le Gouverneur soit Suisse ou Pakistanais n'y changera rien. C'est très exactement prendre des vessies pour des lanternes.

Certes, je connais la violence de vivre quand se dérobent autour de soi tous les cadres et les repères connus, d'où l'impossibilité pour la plupart de nos contemporains, perpétuellement moulinés au mensonge et à la propagande sur les plus graves sujets du jour. Mais tout de même, il y a des évidences : par exemple, je ne peux comprendre que des esprits sensés aient l'impudence de faire passer la participation de la France à la tentative américaine de placer l'Afghanistan sous son contrôle pour une lutte contre le "terrorisme", ni comprendre que de millions de pauvres gens croient ce pauvre baratin.

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Dimanche 10 juillet deux mil onze; ce qu'il y a de bien, à Mirebeau, ce sont les heures de lecture -sans téléphonages pour les interrompre. Comme j'aurai lu ici, en deux ans de semi-réclusion !

Je lis ainsi les ouvrages dont nous recevrons les auteurs, MJS et moi : Petitfils, Soral, Philippe Némo. Ce dernier prolonge fort bien Chomsky: se concentrer sur les études du Troisième Totalitarisme, l'Empire de la Marchandise. S'il a vaincu les deux autres totalitarismes du XXème siècle, c'est d'abord parce qu'il eut pour lui la rationalité technicienne anglo-saxonne et l'immense empire états-unien pour bras armé, mais aussi  parce qu'il était mieux constitué en totalitarisme parfait puisque, s'accompagnant de l'universel impératif de jouissance, il parvint aisément à se faire aimer, par le simple fait de la richesse qu'il distribua à certains, qu'il donna à voir à tous les autres en faisant miroiter la promesse que tous auront leur part. Vous jouirez tous: le Troisième Empire totalitarisme parvint mieux que les autres à cette servitude absolue que décrit Vaugelas, celle "qui abaisse les hommes au point de s'en faire aimer".

Nous n'en sortirons que le jour où les hommes ne voudront plus à toutes forces jouir du matin au soir - c'est pourquoi toute forme de stoïcisme, de l'abstinence écologiste à la foi, quelle qu'elle soit, est pour l'empire un dangereux explosif, prêt à lui éclater à la figure dès que sa machine se grippera; cela est déjà commencé, apparemment, dans les pays arabes, où l'on aimerait bien passer de la promesse à l'acte (non la promesse de démocratie mais la promesse de richesse), et cela pourrait se poursuivre dans des pays comme le nôtre où de larges parties de la population sont en voie d'appauvrissement; mais ceci est un autre sujet…

Publié dans Extraits du journal

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