Dimanche de Toussaint, 1er novembre ; Château de Ch., dans les Charentes.

Publié le par Paul-Marie Coûteaux

Ai-je jamais vu lieu plus admirable ? Il y a de beaux sites, de belles demeures, des paysages spectaculaires, mais tout paraît clinquant à côté du très subtil château de Ch. Comment décrire la douceur de la campagne française, cette cour de pierre, égayée par un bassin carré à l’italienne, une fontaine à l’eau verte, les cyprès bien taillés qui l’encadrent, la terrasse qui s'avance vers les champs bien peignés et les vallons moelleux de cette partie des Charentes ? Côté Sud, l’allée cavalière en pente douce et ses peupliers accueillent les visiteurs en applaudissant à mille feuilles, côté Est, de très vieux arbres que l’automne rend presque rouges, des frondaisons calmes et des vignes recouvrant les murs des petites maisons et des communs, enfin tant et tant de choses installées dans leur splendeur plusieurs fois séculaire, imprenable. Et comment décrire ces belles pièces, qui en chacun de leurs recoins mettent en valeur un meuble, une statue, un drapé, un portrait, des palimpsestes, des bibelots rares - dans un coffret de verre, les petits chaussons de Louis XVII miraculeusement sauvés de la geôle ; à coté, sur un socle, la pomme en cuivre de la porte de l’immeuble d’Alexandrie où vécut Cavafy - penser, en la caressant, que le cher homme, et ses hôtes, la prirent dans la mains et qu’elle reçut un peu de la braise du désir. A.F., cultivé comme on ne l’est plus, récite de vers selon l’heure de la journée, raconte l’histoire de chaque chose, installée là sans hasard, dans la disposition légère de siècles et de siècles, et ce goût français qui unit tout. 

 Rêveries dans ma chambre : de Gaulle est devant mon lit, droit comme un I ; je lui décoche : « Mon Général, asseyez-vous, tout est perdu, de toutes façons, vous le voyez bien ! Il s’emporte : « Croyez-vous que je n’ai pas des yeux pour voir ? Je vois tout, je sais tout, la France s’évapore, elle tombe, on pourrait la croire perdue ; mais en 1940 aussi la France tombait, en 1958 encore, elle tombait, comme elle était tombée en tant de soirs, au soir de Malplaquet, au soir de Waterloo, au soir de Crécy ou du traité d’Amiens, etc., comme elle était bien tombée déjà le jour où fut élu à Senlis le tout petit Capet… Ne voyez vous pas que la France n’est qu’un pauvre équilibre, le miracle même de l’équilibre ; que depuis le début des temps, elle n’en finit pas de tomber ? Il faut sans cesse la reprendre,  contre tout : c’est pour cela que nous sommes des chevaliers ! Allons relevez-vous donc, et cessez de gémir ! ».

 Alors, je suis allé me promener dans le parc, le long des frondaisons, regardant au loin, tout alentours, nos territoires… Et je songeais à ce qu’il est de force dans ces deux simples mots, for intérieur .

Publié dans Extraits du journal

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article